Le Mont Pourri. Un nom bien peu flatteur, au regard de la beauté de la montagne. Deuxième sommet de Savoie, il culmine à 3779m et se gravit par bon nombre de voies différentes. Les deux voies normales du versant ouest sont essentiellement glaciaires, avec un départ depuis le refuge du Mont Pourri ou du grand col, sur le haut des Arcs 2000. Il se gravit également par ses deux arêtes, l'arête Nord qui le relie au Mont Turia, et la longue arête Sud qui s'étend jusqu'au dôme de la Sache, autre sommet du coin. C'est cette voie que nous décidons de faire, en ce dernier weekend du mois de Juillet. Les weekends derniers ayant été plus que médiocre point de vue météo, il était temps d'aller prendre un bon bol d'air frais d'altitude. Petit récit d'une belle course mixte relativement facile techniquement, mais longue, et un zeste engagée.
Nous montons donc ce samedi au refuge de Turia, situé à 2400m sous l'imposant versant Nord du Mont Turia. Le départ se fait depuis le petit village de La Gurraz (qui se prononce "La Gurre" en bon Savoyard !), au-dessus de Sainte Foy Tarentaise. Le départ parait déja compliqué, nous prenons la grosse averse à l'arrivée au parking. Sauve qui peut dans la voiture, pas question de déja mouiller le matos !
Le grain passé, et c'est parti pour 800m de dénivelé pour atteindre le refuge. Le chemin montant bien droit et raide sur ces pentes Est du vallon, c'est l'affaire d'une bonne heure et demie. L'accueil de Cédric le gardien est très chaleureux, tant mieux car ce petit refuge d'une seule pièce et d'une vingtaine de places est plein ce soir. Quelques randonneurs sont présents pour cotoyer les alpinistes le temps d'une soirée. Cédric profite de l'apéro pour nous indiquer le chemin à suivre durant la nuit jusqu'à l'attaque glaciaire.
Dimanche matin, 4h30, 2400m, départ du refuge.
C'est parti pour une belle journée en altitude, dont nous ne soupconnons pas encore qu'elle sera aussi longue.
Il nous faut environ une heure pour atteindre l'attaque du glacier Nord de la Gurraz, aux premières lueurs du jour. Sortie de la ferraille, et encordement à 10-15m sur ce glacier assez crevassé, mais relativement bien bouché encore.
Nous prenons pied sur le glacier qui a bien regelé pendant la nuit. La progression devrait être facile au début. Il nous faut pour l'instant viser Sud-Sud Ouest, le pied d'une arête rocheuse orientée Nord-Est qui descend du sommet du Pourri. On prend ensuite pied sur le glacier Sud de la Gurraz.
Il y a trois autres cordées aujourd'hui en partance pour l'arête Sud. Ils ont déja une bonne avance sur nous, et nous profitons de leur trace lorsque la progression se fait plus difficile dans de la neige un peu ramollie par le soleil. Le cadre est magnifique, nous passons à côté de grandes zones de sérac, et nous pouvons admirer la trace des quelques autres cordées qui montent vers le dôme de la Sache.
Après une bonne heure de soleil, la neige continue à transformer et nous nous retrouvons dans de la bonne moquette de ski de randonnée. Pas de skis sur le sac, dommage !
Je remarque que les cordées de devant ont emprunté des itinéraires différents pour passer la grande rimaye qui barre le pied des pentes raides sous la brêche. J'opte pour le passage au plus haut, où le pont de neige a l'air plus solide. On évite également les pierres en provenance de l'arête, car ça parpine déja un peu à cette heure. Une fois passé la rimaye, la pente se redresse nettement pour atteindre environ 40°. Encordement court et attention de rigueur !
09h, brêche Puiseux, 3460m.
La vue depuis la brêche est incroyable, le spectacle grandiose. On peut voir jusqu'au Cervin à l'Est, et jusqu'au Sud des Ecrins vers l'Ouest.
C'est maintenant parti pour la partie rocheuse de la course, la longue arête Sud qui mène jusqu'au sommet du Mont Pourri. Il faut suivre le fil de l'arête au maximum, jusqu'à la sortie sur la corniche sommitale. Le rocher n'est pas fameux sur le premier tiers, il n'y a pas grand chose qui tient. Placer des protections dans cette partie s'avère être un vrai défi. L'ambiance est par contre enivrante, une vraie chevauchée au-dessus des nuages.
Après 100m d'arête, je cède la tête à Vincent, qui est moins entammé que moi. Je continuerai à filmer la course depuis l'arrière.
Le rocher devient meilleur par la suite, et c'est un vrai plaisir que de grimper ici, dans cette ambiance si grandiose. Les protections deviennent plus facile à poser, et la progression plus aisée. Nous sommes deux à avoir gardé les crampons, car le versant Ouest, sur lequel nous grimpons par moment, est platré de neige. Le versant Est, au soleil, est par contre bien sec.
14h, sommet du Mont Pourri, 3779m.
Nous sortons de l'arête sur la corniche sommitale à une heure de randonneur ayant loupé son réveil. Nous avons surement trop admiré la vue depuis l'arête ! Toujours est-il que celle depuis le sommet est saisissante, et vaut bien à elle seule tous les efforts consentis !
Au vu de l'heure tardive et des nuages qui commençent à empanacher le sommet, nous décidons de prendre l'itinéraire de descente le plus court, c'est à dire la voie normale du glacier du Geay, jusqu'au col des Roches. Le programme original consistant à emprunter l'arête Nord pour ralier le Mont Turia serait un peu trop long. Sans surprise, à cette heure, nous brassons dans la neige molle. Nous nous enfonçons à chaque pas jusqu'au dessus des genoux, parfois jusqu'à mi-cuisse. Heureusement, les crevasses sont bien bouchées et le pont de neige de la grande rimaye au bas de la pente raide encore solide. Nous atteignons le col des Roches après avoir cuit sous le soleil glaciaire de 15h.
A partir d'ici, nous franchissons une dernière grande rimaye, puis le glacier du Grand Col nous ramène en pente douce jusqu'aux bivouacs du Grand Col, qui marque la limite haute du domaine des Arcs. C'est là que nous rangeons la ferraille et la corde dans les sacs, avant 500m d'une descente bien raide jusqu'au refuge. Au bas des névés, qui auront été le théatre de nombreuses glissades plus au moins bien arrêtées au piolet, une marmote maigre comme une planche à pain nous accueille, dressée sur ses pattes arrières. Elle siffle Benoit, qui, prenant cela pour une vanne, décide de risposter en lui courant après.
17h30, retour au refuge de Turia.
Nous savourons une bière bien méritée en compagnie de Cédric, qui nous explique que les autres cordées sont déja rentrées à la maison. Oui, bon ! Au moins, on aura profité de la vue, tout en placant plus de protections !
Vers 18h, nous prenons le chemin du parking de la Gurraz, puis direction Chambéry.
Encore un beau weekend en montagne !
Merci à Benoit et Vincent, pour leur compagnie, et leurs photos.
Antoine
