Retour sur un cycle : rapport d'étonnement ...
Le 01.05.2024, par JeanpierreV, 6 commentaires
Refuge de Gramusset, Aravis, 1er avril 2024. Nous sommes au terme d'un cycle hivernal "vers l'autonomie" et pour cette dernière sortie une alternance de tempête et de soleil généreux accompagne nos traces.
Ce dimanche après-midi la dernière descente est l’occasion de mettre en pratique l’évolution sans visibilité en terrain neigeux accidenté. Nous avons décidés ensemble de l’itinéraire qui a été « jalonné » sur nos applications de Carto lors de la dernière « CSV » (note a) de préparation au refuge : lecture fine du relief, pentes à 30°, exposition au vent, estimation du BERA local, vigilances de glissade, risques avalancheux, … Nous nous relayons pour prendre la tête à tour de rôle, en veillant à conduite notre groupe de huit sur la trace prédéfinie tout en l’ajustant aux conditions nivo-météo-terrain rencontrées, jusqu’à récupérer le chemin en sous-bois on nous déchausserons pour descendre les 300 derniers mètres au-dessus des voitures.
Le matin nous avions affiné notre pratique de progression sans visibilité au cours d’une sortie de 2h30 dans la tempête et le jour blanc, dont l’objectif était de rallier précisément des points caractéristiques préalablement balisés sur nos cartes embarquées (micro relief, rupture de pente abrupte, talweg étroit, dôme, micro crête,… ) avec lecture terrain-carte au cours de la progression pour le choix intelligent de l’itinéraire.
Ces outils numériques bien utilisés sont fantastiques, avec ces conditions hivernales tempétueuses à visibilité quasi nulle l’utilisation de la carte IGN papier avec alti et boussole serait très compliquée -voir juste impossible- alors que le positionnement GPS sur une carte numérique bien préparée offre une sécurité de progression et un gain de temps considérable. Quant aux aléas techniques potentiels souvent mis en avant, avec 8 smartphones à disposition, des batteries nomades chargées, la probabilité d’une perte totale des outils numériques du groupe est infinitésimale.
Ce cycle nous a aussi offert de très belles journées. Entre autres ce samedi, la veille, ou le soleil brillait généreusement sur le massif. Au petit matin nous avons quitté le refuge à 2160m pour remonter le col des Verts. A 2300m nous chaussons baudriers et crampons, avec sous nos pieds une couche inhabituelle de neige roulée sur cette pente raide (~35° sous le col).
Si ça c'est pas de la neige roulée ...
Notre objectif du jour est de tenter la Pointe des Verts (2555m) qui nous offrira de belles combes. Les sacs à dos sont plus lourds on équilibre le portage au col pour cheminer sur l’arête orientée SO et atteindre la base du couloir N. C’est de l’Alpi facile, nous adaptons notre mode de vigilance, la glissade est interdite, les pas sont précis, chacun des 4 binômes constitué se tient prêt à sortir sa corde.
L'arête et la Pointe des Verts au fond.
Nous n’en aurons pas besoin, nous arrivons au pied de la pointe des Verts. Une petite pause et nous remontons un premier couloir sur une centaine de mètres. Les accumulations sont conséquentes, nous décidons de vérifier la stabilité du manteau par un rapide test de colonne. L’instabilité est confirmée, nous renonçons. Une petite bosse remplacera l’objectif initial.
Test colonne - Seconde couche fragile
La bosse sans nom, face à la Pointe Percée
La bosse sans nom, face à la Pointe Percée
Le retour le plus direct demande de traverser les pentes raides (~40°) nous ramenant sous le col des Verts. Un point DCMR sera fait, le Danger est que le manteau neigeux très chargé parte, la Conséquence serait d’être emporté en bas de pente raide dans une avalanche, les Mesures seront un engagement prudent et raisonné de Paulo, le reste du groupe en sécurité sur un ilot, puis une progression un par un, en crampons-piolet, à pas délicats sur les 100m de traversée. Le Risque résiduel est accepté par le groupe, en 1 h15 le passage est franchi, et le refuge est juste en dessous.
La traversée à notre droite, sous les rochers
Ces traversées d’arêtes de niveau Alpi F nous en aurons fait plusieurs au cours du Cycle. L’arête de Puy Golèfre, au-dessus de Villard d’Arêne, menant à la Pare, l’arête NO du Grand Mont, devenue mythique à travers le raid à skis de la Pierre-Menta, et aussi quelques jolis passages alpins sur l’Arête du Grand Rognou, dans le Couloir sous le Prayet en Belledonne. Ces expériences alliées à une meilleure compréhension du manteau neigeux grâce aux explications de Paulo, à l’utilisation de la « CSV » et des outils nivologiques allant de la lecture du BERA à l’évaluation locale du risque nivo avec le Winter-Journal (note b) auront permis à chacun de progresser, d’apprivoiser ses appréhensions, de réaliser de belles montées et descentes en sécurité, de vivre des instants privilégiés dans un groupe bienveillant.
Mais quel est donc cet étonnement dont il est question dans le titre de l’article ?
Peut-être avez-vous la réponse, si en lisant ces lignes vous avez cerné l’objectif du cycle « alpinisme hivernal de niveau F » et si vous y avez associé le Ski, car bien sûr le « Ski-Alpinisme » est une discipline reine de la montagne hivernale.
Peut-être avez-vous la réponse, si en lisant ces lignes vous avez cerné l’objectif du cycle « alpinisme hivernal de niveau F » et si vous y avez associé le Ski, car bien sûr le « Ski-Alpinisme » est une discipline reine de la montagne hivernale.
Mais que pensez-vous de la « Raquette-Alpinisme », l’avez-vous imaginé ?
Car oui, ce cycle était bien de réaliser les approches en Raquettes pour parcourir les arêtes en techniques alpines et de s’offrir de belles descentes contemplatives. L’effort est identique, voire même plus intense à la descente. La Raquette-Alpinisme n’est décidément pas une « sous-activité » (note c). C’est juste une autre option, une alternative au ski, le portage des raquettes sur le sac à dos à la montée étant parfois plus pertinent que celui des skis de rando.
Les arêtes offrent le même plaisir, les mêmes expositions, les mêmes enjeux, demandent les mêmes techniques de progression et d’assurage.
Car oui, ce cycle était bien de réaliser les approches en Raquettes pour parcourir les arêtes en techniques alpines et de s’offrir de belles descentes contemplatives. L’effort est identique, voire même plus intense à la descente. La Raquette-Alpinisme n’est décidément pas une « sous-activité » (note c). C’est juste une autre option, une alternative au ski, le portage des raquettes sur le sac à dos à la montée étant parfois plus pertinent que celui des skis de rando.
Les arêtes offrent le même plaisir, les mêmes expositions, les mêmes enjeux, demandent les mêmes techniques de progression et d’assurage.
Soyez rassuré, tout au long du cycle, que ce soit sous le sommet de la Pare, au sommet du Grand Mont, sous la Pointe Percée, nous avons croisés des regards dubitatifs de skieurs cherchant où étaient nos planches pendant nos pauses repas, des commentaires plus acerbes nous comparant à des « sous-montagnards » qui massacrent l’immaculé des pentes, et aussi quelques-uns admiratifs devant l’effort fournit et nous restant à fournir alors qu’ils glissent vers la vallée.
Tout ceci nous aura bien amusés, votre surprise nous amuserait aussi. Un grand merci à Paulo, notre encadrant si bienveillant, GHM patient et pédagogue, avec qui nous avons eu le bonheur de partager la montagne quel que soit ce dont on était chaussés…..
Et pour finir, mettons un visage sur les fantômes
Crédits photos : les participants
Note a : CSV = Cartographie Systémique des Vigilances
Note b : Winter-Journal = méthode d'avaluation des risques nivo développé par Orthovox
Note c: Sous activité = activité secondaire généralement pratiquée par des sous-montagnards